Symbole de toute une vie




Celui de mon enfance.
Durant les heures interminables de trajet en voiture qui nous menait sur nos terres, je scrutais l'horizon, espérant l'apercevoir. Mais je savais que nous devions d'abord passer la frontière ; cette immense barrière terrifiante derrière laquelle se trouvait le pays de mes parents. Malgré les drapeaux, la langue des douaniers et la devise aux péages, je n'y étais pas encore. NON ! Pas tant que je ne l'avais pas vu. Je collais mon nez sur la vitre. Je ne détachais pas mon regard ni ne baissais mon attention. Et puis soudain, le long d'une route désertique, il apparaissait, si grand, si noir, si majestueux, si puissant. La joie se mêlait à l'émotion quand il laissait la place, quelques kilomètres plus loin, à un autre, puis un autre.
Ca y est, j'étais chez moi.

Celui de mes racines.
J'ai toujours connu cette dualité de n'être pas tout à fait française en ce pays qui m'a vue naître et grandir ni vraiment étrangère malgré le sang qui coule dans mes veines. J'aime ce pays qui est le mien, bien plus que celui dans lequel je vis, car il m'échappe. Je ne le connais que par filiations, par procurations et par touches estivales. Mais je le ressens, je le vis. Je pleure quand ses forêts s'embrasent, je crie quand la marée noire souille ses côtes, je m'effondre quand ses trains sautent, je me réjouis de le voir si libre et démocratique, je prie pour qu'il gagne le Mondial.

Celui de ma culture.
A notre époque, être immigré d'un pays européen ne signifie plus rien.
Pourtant, ceux qui doivent quitter leur pays pour un autre, sous la contrainte économique ou politique connaissent un immense sacrifice.
Je suis née ici et pourtant je me suis toujours considérée comme une immigrée, probablement par respect pour ce qu'ont du endurer mes parents. La première fois que j'ai vu pleurer mon père, c'est lorsqu'il racontait la misère et la faim qu'il a fuies. La deuxième quand il racontait son "voyage" avec sa valise en carton.
Et certainement aussi parce que les autres nous considéraient comme des étrangers.
Je garde ancré ce souvenir de ma maîtresse de classe accablant les autres élèves, bien français, d'avoir eu de moins bonnes notes que moi. Déjà à mon âge, je savais qu'elle était bête et je commençais à détester le racisme ordinaire.
Mes parents ne sont pas devenus cadres supérieurs ou chefs d'entreprise. Ils sont simples ouvriers. Mais ils ont réussi, bien plus que n'importe quel énarque. Mais peu de gens peuvent le comprendre.
Ils m'ont enseigné l'humilité et le respect.
Je suis fière d'eux.

Celui de moi.
En étant devenu le symbole de toute une nation, ce taureau particulier (en réalité, le logo d'une marque de spiritueux) est par conséquent devenu mon symbole.
Mais l'animal est très représentatif, pas vraiment de moi car ce serait de la pure prétention et je n'ai pas ce défaut, mais de ce que j'aspire à être.
Il est noir ...
Il est observateur.
Il est fort.
Il est puissant.
Il est inébranlable.
Il est classe.
Il est fier.
Il est courageux.


Website statistics