Mal a dit

Ce fut brutal, un choc.
Je n’ai rien vu venir.
Je n’ai pas voulu voir.
Elle m’a touchée, violemment.
Coup de foudre, coup du sort.
Sans m’avertir, sans demander mon avis, sans se présenter.
Quand j’ai réalisé, il était trop tard.
Aurais-je pu l’éviter ? Bien sûr que non. J’étais bien trop impuissante face à elle.
C’est ainsi qu’elle a fait irruption dans ma vie. C’était il y a longtemps déjà.

Il n’y avait pas de place pour elle.
Alors, jour et nuit, elle m’a tourmentée, pour se la créer.
Et malgré mes tentatives de révolte, elle s’est installée, là, dans mes entrailles.
Et pour m’imposer sa loi, elle n’a eu de cesse de me torturer, maltraitant ma chair et abimant mon âme. Plus j’hurlais, plus je criais et plus elle se montrait morbide, implacable et impitoyable.

Je n’étais pas préparée à un tel chamboulement. Je n’étais pas prête à mener cette bataille. Je ne voulais pas souffrir. J’étais dans l’incompréhension totale qu’elle puisse tout prendre sans rien donner. Je maudissais le destin. Sombrais dans les doutes. Subissais la douleur.
J’étais terrorisée, elle le savait, elle devait même en rire. J’avais peur de l’inconnu, peur de cette intruse, peur de ses projets, de ses désirs, peur des conséquences, peur de l’avenir.
Je n’avais jamais connu une telle cruauté et une telle injustice.
J’aurais pu mourir de ce combat. Je la soupçonnais du pire pour arriver à ses fins.
J’étais perdue.
J’ai imploré qu’elle m’épargne.

Je me suis résignée, épuisée par cette guerre perdue d'avance.
J’avais compris que lutter était vain. J’ai rendu les armes. Je lui ai ouvert la porte.
J’ai pansé les plaies sur mon corps meurtri à jamais. J’ai accepté mon sort. Je me suis soumise à l’évidence, à sa suprématie.
Elle a planté son drapeau noir, celui de la victoire, élu domicile, puis elle a signé la trève et s’est calmée.
Elle avait gagné.

Mais je n’avais pas vraiment perdu.
Je m’en suis aperçu plus tard. En ne me tuant pas, au lieu de m’affaiblir, elle m’avait rendue plus forte.
Et je me suis rendue compte qu’elle avait changé ma vie, que désormais le monde n’aurait plus la même couleur fade et que la vie n’aurait plus la même saveur amère.

Depuis, je la porte en moi. Elle a trouvé sa place, au creux de mon ventre.
Elle n’en repartira jamais, possédant mon corps et obsédant mes pensées.
Elle me suit dans mes voyages, m’accompagne sur ma route. Dort dans mon sommeil, s’apaise dans mes rires, s’agite dans mes pleurs.
J’ai appris à l’écouter, à la connaître et à la comprendre.
Je suis attentive à ses sautes d’humeur, à ses troubles. Je la surveille. Je la ménage. Je crains qu’elle se vexe ou se fâche.
Il faut dire qu’en me souciant d’elle, je prends soin de moi.
Nous nous sommes apprivoisées, ne faisant plus qu’une.
Nous avons enfin trouvé l’équilibre et la paix........ jusqu’à la prochaine révolte.

La plupart du temps, elle m’ignore. Alors, je fais comme si elle n’existait pas. Je feins de l’oublier, je l'élude, pour reprendre le cours de ma vie.
Mais toujours, quand il m’arrive de lui en vouloir ou même de la mépriser, quand je suis lasse et désabusée, quand je rêve de reprendre ma liberté, elle sait être menaçante et me rappeler combien elle peut être dangereuse et qu’elle peut à tout moment entamer un nouveau combat qui pourrait me détruire.
Elle me fait juste savoir que je ne peux plus vivre sans elle.
Qu’elle est égoïste et entêtée parfois ! Mais comme elle a raison…

Pourtant, sans moi, elle n’est rien. Elle n’existe qu’à travers moi. D’ailleurs, je me suis souvent demandé si ce n’est pas moi qui l’ai fait naître, inconsciemment, il y a bientôt 17 ans.
Et c’est peut-être pour cela qu’elle ne veut plus me quitter.

Parfois, je m’interroge, inutilement : quelle aurait été mon existence et quelle femme je serais devenue si je ne l’avais pas connue ?

Elle ne disparaîtra qu’avec moi.
Jamais je n’en guérirai.


Il est vraiment troublant de pactiser avec le mal.


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