Pour ce que je suis

Elle se tient face à ce miroir.
Nue … vérité brute.
Elle n’y voit plus qu’une petite femme, bien ordinaire.
Où est donc passée cette lueur dans ses yeux qui la rendait jadis si pétillante ?
Où a fui cette splendeur qui faisait d’elle cet être si singulier ?
Que reste-t-il de sa magnifique assurance qui la rendait exceptionnelle ?
Elle baisse les yeux devant ce spectacle pathétique.
Elle ? Baisser les yeux ?
Que s’est-il donc passé ?

Elle remonte en mémoire le cours de ses quatre dernières années d’existence :
La rencontre, la séduction, l’apprivoisement, la tentation, l’expérimentation, la domination,
l’abandon, la douleur, les retrouvailles, la joie, l’échange, la confrontation, la domination,
la séparation, la tristesse, la réconciliation, la folie, le rapprochement, la domination,
la rupture, l’attente, le dialogue, la compréhension, la domination,
la déchirure, la solitude, l’espoir, le lien, le besoin, la domination,
la trahison, la cassure, le désespoir, le pardon, le renouement, les promesses, le bonheur, la domination.
La fin, la domination, le début.
Cycle perpétuel.
Mais si tout n’est qu’éternel recommencement, pourquoi la flamme ne renait-elle pas chaque fois intacte ou renforcée plutôt que de devenir terne et sans goût ?
Pourquoi, si la lassitude finit par souiller la relation, recommence-t-on encore et encore ?
Elle enrage !
Elle qui a tant lutté …
Comment, aussi libre et intelligente, a-t-elle pu être entrainée dans ce cercle si peu vertueux ?

L’Amour, pardi !

Elle sait ce qu’est l’amour, le vrai, le pur. Celui qui vit sans l’illusion et qui peut vivre sans espoir.
Celui qui ne se regarde pas le nombril. Celui qui ne s'autoproclame pas Amour.
Elle peut tout par amour, elle ne le sait que trop bien. Sans rien demander en retour. Sans chercher de bénéfices. Contre son propre intérêt s’il le faut. C’est une force, se convainc-t-elle, que seules les personnes entières et morales possèdent.
Mais dans ce monde où l’intérêt personnel fait la loi, cette force devient une faiblesse qui profite à cette race d’égocentriques.
Elle réalise que personne, et surtout pas lui, ne mérite ce don précieux, parce que tous en use et en abuse.
Elle est fatiguée, humiliée.
« Tout donner à l’autre l’autorise-t-il à tout prendre ? A prendre juste ce dont il a besoin ? Et sans engager sa responsabilité ? Sans la moindre culpabilité ? Pourquoi tout devient un dû dès lors qu’il est offert généreusement par l’amour ? »
Là où par cet amour tout ne devrait être que complicité, tout n’est que rivalité.
L’amour n’est plus respecté, s’attriste-t-elle.
Parfum d’injustice !
Est-ce une raison pour changer ? Devrait-elle devenir aussi vile et méprisante que ses congénères ?

Elle sait bien que non, elle a beaucoup trop de fierté pour tomber si bas.
Pourtant, elle aimerait ne plus ressentir cette colère et cette rancœur nées de la dualité entre ce qu’elle est et ce qu’on lui impose de vivre, entre ses sentiments sincères et la manipulation qu'on en fait.

Elle redresse les yeux en direction de son image.
Mépris empli de doutes.
« Et si la femme que je croyais être et qui a disparu en ce miroir n’était en fait que celle que l’autre voulait que je sois et que je rêvais d’être pour lui ? Me serais-je perdue en cours de route, persuadée d’emprunter mon propre chemin pour pouvoir suivre le sien ? Est-ce que mon amour, au lieu d’être pur, m’aurait aveuglée ? Pourquoi, au lieu de m’aider, ma lucidité m’a-t-elle enfoncée ?»

Elle se ressaisit : « JE PEUX TOUT PAR AMOUR. Je peux jouer, m’adapter, me transformer, me soumettre, dominer. Je peux même agir contre mon propre intérêt. Mais plus JAMAIS, je n’offrirai le luxe à qui que ce soit de se servir contre moi de ma force! »

Elle se fixe maintenant presque avec provocation : « Tu es ce que je suis ! Je t’accepte telle que tu es. Oui, j’assume celle que je vois parce que jamais je ne t’ai trahie et jamais je ne te trahirai. Je ne suis personne d’autre que toi ! Et aujourd'hui tu ressembles à ça car tu t'es libérée, tu t'es retrouvée !»
Elle attend désormais qu’on l’aime pour ce qu’elle est.


Et soudain, la lueur, la splendeur et l’assurance ont refait leur apparition dans la glace…






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